Vous l’avez sûrement constaté : ceux qui crient le plus fort ont souvent tort. C’est même cela que dit leur cri, et qu’ils n’entendent pas. Appliquée à la question de la liberté, cette vérité devient encore plus cruelle.
La leçon de philo de Charles Pépin.
Que gueule l’alcoolique au comptoir, parfaitement incapable de décider d’arrêter de boire ? Qu’il a bien le droit de reprendre un verre, qu’il est libre, merde ! Que répète le réac en boucle, lors même qu’il est tenu par son ressentiment ? Qu’il a bien le droit de penser ce qu’il pense, que c’est sa liberté de ne pas aimer son époque. Que hurlent ceux qui sont dépendants de leurs passions mauvaises, de leurs haines ou de leurs jalousies ? Qu’ils pensent librement ce qu’ils pensent.
Spinoza l’avait déjà remarqué dans son Éthique : « Un homme ivre aussi croit dire d’après un libre décret de l’esprit ce que, revenu à son état normal, il voudrait avoir tu ; de même le délirant, la bavarde, l’enfant et beaucoup de gens de même farine croient parler selon un libre décret de l’esprit, alors que pourtant ils ne peuvent contenir leur envie de parler. »
S’ils ne peuvent la contenir, c’est bien que c’est plus fort qu’eux. Il semble que l’invocation de la liberté indique justement son absence, comme si l’être dépendant, déterminé par son milieu social, ses passions tristes ou son inconscient, ne pouvait faire autrement que d’invoquer ce qui précisément lui manque.
À l’inverse, lorsque nous vivons un instant de pleine liberté, il ne nous viendrait pas à l’idée de rappeler aux autres combien nous sommes libres. Le sentiment que nous éprouvons est amplement suffisant : nous n’avons alors aucune envie de crier notre liberté sur tous les toits.
Bien sûr, rien ne nous dit que cette impression de liberté soit une liberté réelle. Mais, si nous n’éprouvons pas le besoin de la crier ou de la mettre en avant, c’est déjà un indice que nous avons rencontré quelque chose de réel, et qui nous suffit.
Il peut y avoir de la joie à rencontrer ce réel-là, qui est d’ailleurs probablement davantage celui de notre absence de libre arbitre que celui de notre libre arbitre…
Oui, nous sommes pour l’essentiel les enfants de notre enfance, de nos parents, de notre milieu, de notre langue – de notre histoire et de nos gènes. Nous ne l’avons pas choisi et nous ne sommes pas capables de le changer.
Mais nous sommes peut-être libres en un autre sens : et si notre liberté tenait pour l’essentiel, ainsi que nous le disent à la fois les stoïciens et la psychanalyse, Spinoza, Nietzsche ou même Bergson, à cette manière de savoir accueillir cela même que nous ne pourrons changer ?
Et si la vraie liberté était de savoir être entièrement celui que nous sommes, et que nous avons si peu choisi ? On comprendrait alors qu’il n’y ait, de cette liberté, rien à crier mais tout à éprouver.
Catégories :Billets humeurs
Oh ouiiiii !!!!
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Un peu comme toutes ces choses qui se vivent intensément, silencieusement, profondément sans se crier.
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Il faut les crier toutes ces choses.. 😉
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La liberté est une conviction profonde… qui se vit😉
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La dessus je ne dit rien, donc ! 🙂
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Qui ne dit mot consent Carlos 🙂
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… tu vois ! Je ne te réponds pas, Sana 😀
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Un berau texte, inspiré, merci
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Perfect.
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La liberté est un mot que l’on emploi assez souvent… je dirais qu’il est galvaudé… On n’est jamais totalement libre…c’est ainsi…il y a des règles pour nous le rappeler. Merci pour ce texte ma Sana… gros gros bisous
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Très bel article… en effet, pour moi, la liberté, c’est juste le coeur qui se gonfle quant tu sens que le monde t’appartient! cet espace qui n’est qu’à toi, à l’intérieur, où tu peux décider d’être libre, totalement, malgré tout ce qui se passe autour… bises
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Tu as tout joliment dit. Bises
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Très bel article, juste … Ceux qui crient au nom de la liberté ou de quoi que se soit d’ailleurs, veulent sans doute par leurs vociférations se convaincre eux- même …
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Selon moi, « Être » c’est vivre … et vivre, vivre avec un grand « V » c’est lâcher prise… quand on accepte de lâcher prise, on devient libre…
Les règles que la société nous impose, n’entache en rien cette liberté qui est avant tout spirituel … notre âme, rien ni personne ne peut nous l’enlever. Notre liberté nous appartient, il ne tient qu’à nous de la saisir, de s’y cramponner et de ne plus la lâcher.
Je pense que je vais me sentir bien sûr ton blog, j’apprécie cet œil ouvert…qui cherche à voir plus loin que le bout de son nez 🙂
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Tu as une très belle analyse Madine. Le lâcher prise, la liberté, le «spirituel»,…j’aime beaucoup en effet ces ancrages. A très vite
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